Comment des structures de grandes tailles se forment dans l'atmosphère des planètes

Résultat scientifique Mécanique des fluides

Dans les atmosphères planétaires, des structures de grande taille peuvent se former à partir de petits courants turbulents. C'est ce que démontrent les études menées par des chercheurs du Laboratoire de mécanique des fluides et d'acoustique et de l'École normale supérieure de Paris, qui mettent en évidence l'existence de transferts d'énergie des petites échelles vers les grandes dans les fluides turbulents naturels, grâce à l'appui de simulations numériques. Ces résultats sont publiés dans la revue Science.

L'atmosphère terrestre ou d'autres planètes présentent des structures d'écoulement qui s'étendent sur plusieurs milliers de kilomètres. Ces structures peuvent résulter de mouvements globaux de l'atmosphère, mais aussi de petits courants turbulents qui s'auto-organisent à grande échelle. Ce dernier processus, appelé ''cascade inverse'', suppose des transferts d'énergie des petites échelles vers les grandes, à l'inverse de ce que chacun peut quotidiennement observer en versant du lait dans son café : une turbulence qui donne naissance à des structures de petites tailles.

Le phénomène de cascade inverse a déjà été observé lors de simulations numériques de dynamique des fluides, et dans les océans. Mais sa possibilité n'avait pas été démontrée pour une atmosphère planétaire sans utiliser de modèles simplifiant sa dynamique non linéaire. C'est ce que vient de réaliser Alexandros Alexakis du Laboratoire de physique de l’École normale supérieure (LPENS, CNRS/École normale supérieure/Sorbonne Université/Université Paris Cité) en collaboration avec Raffaele Marino, du Laboratoire de mécanique des fluides et d'acoustique (LMFA, CNRS/École Centrale de Lyon/ENSA Lyon/Université Claude Bernard) et Pablo Mininni de l'Université de Buenos Aires (UBA), grâce aux moyens de calcul alloués par le consortium européen PRACE1 .

Pour démontrer la possibilité d'un phénomène de cascade inverse dans une atmosphère planétaire, il fallait pouvoir simuler avec précision un domaine atmosphérique suffisamment grand. En cumulant 40 millions d'heures de calcul sur le supercalculateur Joliot-Curie du CEA, les chercheurs ont pu réaliser des simulations numériques directes des écoulements dans une atmosphère de 15 de km de hauteur et environ 500 km de largeur, avec une résolution horizontale et verticale de seulement quelques dizaines de mètres. Cette étude a été rendue possible par la puissance de calcul disponible sur le supercalculateur de dernière génération du CEA, mais aussi par des années d'exploration préalable des différents paramètres physiques, réalisées au LMFA, à l'ENS-Paris et à l'UBA, qui ont abouti à un modèle de simulation optimisé, basé sur la caractérisation des phénomènes de la mécanique fondamentale des fluides qui régissent la dynamique des écoulements géophysiques.

La simulation réalisée décrit les transferts d'énergie entre les différentes échelles d'écoulement : les résultats obtenus sont conformes à ceux des campagnes de mesures in situ réalisées par de véritables avions, et ont permis d'obtenir pour la première fois des informations sur la façon dont l'énergie cinétique se répartit entre les différentes échelles dans l'atmosphère, qui ne peuvent actuellement être déduites des observations. Le modèle de simulation, conçu pour l'atmosphère de la Terre, est applicable à d'autres atmosphères planétaires, comme par exemple celle de Mars. Il pourrait aussi se révéler utile pour l'étude des écoulements en astrophysique. L'équipe de chercheurs travaille déjà à la création de simulations numériques de plus longue durée, pour l'étude des statistiques temporelles. De nouveaux projets sont également en préparation, afin d'étudier d'autres phénomènes atmosphériques, notamment des événements extrêmes comme les épisodes de turbulences intenses pouvant menacer la sécurité des vols aériens.

Comment des structures de grandes tailles se forment dans l'atmosphère des planètes
Variations de densité (Φ) dans une couche d'atmosphère planétaire, visualisées par les différentes couleurs. Au début de la simulation, des perturbations ont été créés dans le champ de densité à une échelle de quelques kilomètres, comparable à l'épaisseur du domaine. Mais au fil de l'évolution de la dynamique de l'écoulement - sous l'action de la rotation et de la stratification - elles se sont propagées, créant des structures de plusieurs centaines de kilomètres de long, comparables à celles que l'on peut voir sur les cartes météorologiques, ou parfois observer directement à l'œil nu dans l'atmosphère.
© LMFA
  • 1Cette recherche a été possible grâce au projet « BIG turbulence », préparé par les co-auteurs de l’article, Alexandros Alexakis (LPENS, CNRS/École normale supérieure/Sorbonne Université/Université Paris Cité), Raffaele Marino (LMFA, CNRS/École Centrale de Lyon/ENSA Lyon/Université Claude Bernard) et Pablo Mininni (Université de Buenos Aires) auquel a été attribué une allocation de temps de calcul du consortium européen PRACE, pour la réalisation d'une étude numérique de la turbulence et de la dynamique des écoulements géophysiques à l'aide du supercalculateur du CEA Joliot-Curie.

Comment des structures de grandes tailles se forment dans l'atmosphère des planètes

Visualisation tridimensionnelle de la température de l'atmosphère générée par une simulation numérique directe à haute résolution, réalisée dans le cadre du projet PRACE "BIG Turbulence" (A. Alexakis, R. Marino, P. Mininni), dans un domaine représentant un tiers de la longueur du domaine total de simulation. Les régions blanches sont des régions où la température est plus basse, tandis que les régions bleues correspondent à des températures plus élevées. Les ondes de gravité, vues comme des ondulations blanches, peuvent coexister avec des structures à grande échelle.

Audiodescription

Références
Large-scale self-organisation in dry turbulent atmospheres.
Alexandros Alexakis, Raffaele Marino, Pablo D. Mininni, Adrian van Kan, Raffaello Foldes, Fabio Feraco.
Science, mars 2024.
https://doi.org/10.1126/science.adg8269

Contact

Raffaele Marino
Chargé de recherche CNRS au Laboratoire de mécanique des fluides et d'acoustique (LMFA, CNRS/École Centrale de Lyon/ENSA Lyon/Université Claude Bernard)
Communication CNRS Ingénierie