« Redonnons du sens aux métiers de l'ingénierie »
Les métiers de l'industrie et de la technologie souffrent d'une mauvaise image auprès des jeunes. Pour faire découvrir et valoriser ce secteur essentiel, le CNRS, l'Académie des technologies et le ministère de l'Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, lancent en septembre « l'Année de l'ingénierie ».
« Les Echos » viennent de publier deux tribunes éclairantes de Nicolas Dujardin et de François Germinet. La première souligne le côté pernicieux des slogans du greenwashing, la planète continuant à se réchauffer et à se vider de ses réserves. La seconde pointe le manque d'attractivité de l'industrie pour les jeunes lesquels ne voient pas en quoi les technologies utilisées ou futures pourraient empêcher le climat de se dégrader et les réserves terrestres de s'épuiser.
Les représentations de l'industrie et de la technologie qu'ont la plupart des jeunes (et leurs familles) sont empreintes de méfiance (fragilité de l'emploi pour des raisons économiques ou technologiques), de défiance (gaspillages, pollutions…) ou de critique des futilités de certains marchés. Si des cas tangibles justifient ces attitudes, une certaine méconnaissance des réalités actuelles les explique aussi.
Ingénierie
Les métiers de la technologie et de l'industrie (au sens actuel du mot, qui déborde de beaucoup le périmètre des usines) sont fondés sur les sciences de l'ingénierie. L'ingénierie est un vaste champ d'activité qui englobe la conception, la production (fabrication, construction, réalisation…), la maintenance et le recyclage d'objets, de systèmes, de dispositifs, de machines.
L'ingénierie mobilise ainsi des savoirs techniques issus de multiples disciplines scientifiques. Se fondant sur la recherche, elle assure un continuum vers des applications concrètes, dans de nombreux secteurs : alimentation, BTP, énergie, environnement, santé, sports, télécommunications, transports, et même culture. Elle mobilise une palette de métiers : chercheurs, ingénieurs, designers, techniciens, opérateurs, ouvriers…
L'ingénierie a vocation à rendre l'économie plus robuste et plus compétitive tout en apportant des réponses tangibles à de grands enjeux contemporains comme la limitation du changement climatique et la réduction de ses effets, la préservation des ressources naturelles, la santé des populations ou bien l'autonomie stratégique du pays (et de l'Europe) et de sa défense.
Lancer un chantier
Mais le grand public tout comme la jeunesse en a peu conscience comme le montrent les représentations de la technologie et de l'industrie et donc implicitement de l'ingénierie. La nécessité de lancer un grand chantier pour y remédier s'impose donc aujourd'hui.
Son premier objectif (le volet connaissance) serait de donner à voir ce qu'est l'ingénierie, par des opérations de médiation scientifique et technologique, de montrer quel rôle elle joue pour construire un avenir soutenable et responsable, quelles erreurs elle a pu commettre, quelles contraintes ou limites s'imposent désormais à elle. Il s'agit, sans faux-semblant, de la rendre plus visible et compréhensible.
Son second objectif (le volet orientation) s'attacherait à montrer que l'ingénierie est largement ouverte à de nombreux profils, dans un continuum qui va du CAP au doctorat, pour des jeunes issus de tous milieux ou territoires, y compris ceux où l'on se considère comme éloignés du domaine et pas destinés à y œuvrer.
C'est au collège que se forment les premiers préjugés concernant l'industrie et la technologie, souvent négatifs ou « genrés », c'est donc par là qu'il faut commencer, sans tarder. Parmi les 7.000 collèges, dans l'Hexagone et Outre-mer, ce sont d'abord ceux des bourgs ruraux, des petites villes de la France dite « périphérique » et ceux des ZEP, qu'il faut atteindre en priorité. En faisant feu de tout bois mais avec une certaine coordination.
Le « rôle modèle »
À titre d'illustration, un exemple : interviendraient des anciens de ces collèges-là qui sont aujourd'hui étudiants en IUT ou en école d'ingénieurs ou bien qui viennent d'en être diplômés. Un « retour dans mon collège » en quelque sorte. On exploiterait ici la force du « rôle modèle » de proximité pour des jeunes manquant de perspectives et peut-être d'ambition. Par ailleurs, et parmi d'autres, des actions de médiation scientifique et technologique mobiliseraient dans les collèges et les lycées de jeunes chercheurs et ingénieurs, des femmes chaque fois que possible.
À quoi s'ajouteraient les initiatives de fédérations professionnelles, d'opérateurs de compétences, d'associations, de fondations et d'entreprises, déjà actifs sur les volets évoqués plus haut, mais qui s'engageraient plus encore en cette occasion.
Ce grand chantier est désormais lancé. C'est « l'année de l'ingénierie » qui se déroulera de septembre 2025 à juin 2026, pilotée par le CNRS et l'Académie des technologies avec le ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Si cela devait ébranler les représentations négatives de la technologie et de l'industrie (de l'ingénierie donc) et contribuer à leur donner du sens, cela ne suffira pas. Une année est bien entendu une période trop courte pour changer profondément des imaginaires. Aussi proposons-nous qu'elle soit la première phase d'une « décennie de l'ingénierie » avec pour horizon stratégique 2035.
Par Stéphane Andrieux (membre de l’Académie des technologies), Lionel Buchaillot (directeur de l’institut CNRS Ingénierie), Alain Cadix (membre de l’Académie des technologies), Laurent Nicolas (délégué scientifique à CNRS Ingénierie)
En savoir plus
- L'Année de l'ingénierie 2025-2026 : Accueil - CNRS année de l'ingénierie 2025 - 2026
- Cette tribune a été publiée le 26 août 2025 et est accessible en ligne sur le site des Echos : « Redonnons du sens aux métiers de l'ingénierie » | Les Echos