Une nouvelle description théorique du comportement turbulent de l’hélium superfluide

Résultat scientifique

Près du zéro absolu, l’hélium perd sa viscosité et devient superfluide. S’il se comporte encore en partie comme un fluide classique, l’émergence de vortex quantiques modifie sa dynamique. Des scientifiques ont proposé une description théorique originale de la turbulence dans l’hélium superfluide. Publiée dans la revue PNAS, cette étude unifie de nombreux résultats expérimentaux et numériques antérieurs, et apporte un éclairage nouveau sur les propriétés de ces écoulements.

L’hélium liquide devient superfluide, c’est-à-dire presque dépourvu de viscosité, à des températures inférieures à 2,17 K. Dans cet état, il présente également une conductivité thermique exceptionnelle, exploitée notamment pour refroidir les bobines supraconductrices des accélérateurs de particules, comme au CERN, ou les capteurs embarqués dans certains satellites. Lorsque l’écoulement devient turbulent, la dynamique de l’hélium superfluide s’apparente, à grande échelle, à celle d’un fluide classique. En revanche, la dynamique à petite échelle demeure moins bien comprise. À l’échelle d’une dizaine de microns, on observe l’apparition de vortex quantiques dont le cœur est réduit à un seul atome. L’hélium superfluide est alors communément décrit comme la coexistence de deux composantes en interaction : une composante visqueuse classique (appelée fluide normal) et une autre sans viscosité dotée de vortex quantiques (appelée superfluide). Les caractéristiques de ce mélange varient fortement entre 1 et 2,17 K, ce qui suggère que les propriétés de la turbulence qui en résulte dépendent non seulement des échelles spatiales mais également de la température. 

En repartant des équations maîtresses de la mécanique des fluides et en s’appuyant sur des simulations numériques, des chercheurs et une chercheuse du Laboratoire de mécanique des fluides et d’acoustique (LMFA, CNRS/Centrale Lyon/Univ. Claude Bernard Lyon 1/INSA Lyon), du Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (LEGI, CNRS/Univ. Grenoble Alpes/Grenoble INP), de l’Institut Néel (CNRS/Univ. Grenoble Alpes) et du laboratoire Morphodynamique continentale et côtière (M2C, CNRS/Univ. Rouen Normandie/Univ. Caen Normandie) ont développé une description théorique originale de la turbulence quantique, permettant de distinguer les effets liés à la température de ceux induits par le nombre de Reynolds, nombre sans unité qui caractérise le niveau de turbulence d’un fluide. L’idée de départ a été de traiter les deux fluides comme s’ils n’étaient qu’un seul fluide effectif, ce qui a permis de généraliser les outils théoriques couramment employés pour la description des fluides classiques.

Résultat marquant, cette approche conduit à une loi quantitative reliant la densité de vortex quantiques au nombre de Reynolds. Cette loi, qui établit un lien entre les propriétés quantiques de l’hélium superfluide et sa dynamique macroscopique turbulente, montre un excellent accord avec la quasi-totalité des mesures expérimentales disponibles à ce jour. Plus généralement, ces travaux proposent un cadre théorique robuste permettant de mieux décrire la turbulence dans l’hélium superfluide. Les scientifiques veulent à présent continuer d’étudier les petites échelles, en s’attachant à la dynamique des vortex quantiques.

Zones de forte vorticité dans la turbulence d’hélium superfluide (obtenues par simulation numérique directe). Aux échelles illustrées, les deux composantes développent quasiment les mêmes structures tourbillonnaires, malgré leurs propriétés différentes. Dans le superfluide (à droite), ces structures résultent de l’agrégation de vortex quantiques à très petite échelle. Par friction mutuelle, ces paquets de vortex entraînent la formation de structures tourbillonnaires similaires dans le fluide normal (à gauche).
© J. I. Polanco et al.

Références
Disentangling temperature and Reynolds number effects in quantum turbulence.
Juan Ignacio Polanco, Philippe-E. Roche, Luminita Danaila, and Emmanuel Lévêque.
Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A., 2025.
https://doi.org/10.1073/pnas.2426598122
Article consultable sur les bases d’archives ouvertes Arxiv et HAL

Contact

Juan Ignacio Polanco
Chargé de recherche CNRS au Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (CNRS/Université Grenoble Alpes)
Communication CNRS Ingénierie