La loi de Stefan-Boltzmann n’est pas valable à l’échelle nanométrique

Résultat scientifique

Des chercheurs du Centre d’énergétique et de thermique de Lyon et de l’Institut d’électronique et des systèmes ont étudié les caractéristiques du rayonnement thermique aux courtes distances. Leurs travaux montrent que la loi de Stefan-Boltzmann ne s’applique pas à l’échelle nanométrique. Pour intensifier le transfert radiatif entre deux corps proches, il est plus efficace de les rapprocher que d’augmenter l’une ou l’autre de leurs températures.

Le rayonnement thermique est l’un des trois modes de transfert de chaleur où l’énergie est transportée par de la lumière. La sensation de chaleur que l’on ressent par une belle journée lorsque l’on se tient face au soleil, un corps de température très élevée et très lointain, en est une manifestation. Celle-ci met en évidence deux éléments : le rayonnement thermique est associé aux corps chauds et peut se propager sur de très longues distances. Le rayonnement thermique est notamment décrit par la célèbre loi de Stefan-Boltzmann, établie en 1884 par Jozef Stefan (1835-1893) et son étudiant en thèse Ludwig Boltzmann (1844-1906). Elle permet de déduire que le flux radiatif émis par un corps idéal, dit « noir », est proportionnel à la puissance quatrième de la température : φ = σT4, où σ est une constante, dite de Stefan-Boltzmann. Pour les corps réels non idéaux, cette loi n’est plus tout à fait exacte et la constante de proportionnalité change, mais la très forte dépendance à la température, qui associe le rayonnement thermique aux corps chauds, persiste.

Plusieurs caractéristiques habituelles du rayonnement thermique ont cependant été remises en cause depuis la fin du XXème siècle, avec l’avènement des nanotechnologies. Les distances entre les corps sont maintenant nanométriques dans de nombreux cas, ce qui est bien plus faible que la taille caractéristique des porteurs du rayonnement thermique - les photons - de l’ordre de 10 micromètres (10 000 nanomètres) à température ambiante. Pour ces distances, le rayonnement thermique a lieu par un mécanisme d’effet tunnel de photon, dit « rayonnement en champ proche », et devient beaucoup plus fortement dépendant à la distance que dans le régime « en champ lointain » décrit par la loi de Stefan-Boltzmann. De nombreuses confirmations expérimentales de l’augmentation très importante du flux échangé dans ce régime ont été observées au cours de la dernière décennie, et des applications pour la conversion d’énergie thermique en électricité ou la spectroscopie sont en cours de développement1 .

Il s’avère que la dépendance du transfert radiatif à la température n’avait pas été analysée en détail pour les courtes distances. Un groupe de chercheurs du Centre d’énergétique et de thermique de Lyon (CETHIL, CNRS/INSA Lyon) et de l’Institut d’électronique et des systèmes (IES, CNRS/Université de Montpellier) a donc décidé de vérifier si le flux radiatif dans la zone de « champ proche » était toujours dépendant à la puissance quatrième de la température. Leurs travaux montrent que, pour un corps « noir » qui ne réfléchit pas mais absorbe le rayonnement, une proportionnalité au carré de la température est attendue aux très courtes distances, bien moins forte que celle de la loi de Stefan-Boltzmann. Des études expérimentales ont été effectuées avec plusieurs corps réels, à l’aide d’une technique de microscopie thermique à sonde locale qui permet de maîtriser la distance entre les corps mais également leurs températures. Elles confirment bien que la dépendance en température est atténuée en champ proche. Cependant, il peut y avoir des variations en fonction du type de matériau considéré.

Ces travaux, publiés dans la revue Materials Today Physics, viennent conforter les études récentes qui montrent que la dépendance à la température du rayonnement thermique, en champ lointain cette fois-ci, peut aussi varier lorsque la taille des corps devient nanométrique2 . Ils montrent aussi qu’il sera plus facile d’intensifier le transfert radiatif en rapprochant les corps qu’en augmentant la température, ce qui devra être pris en compte pour des applications, par exemple en spectroscopie locale ou pour la récupération d'énergie par voie thermophotovoltaïque3 .

Image chapuis 1
Dispositif expérimental où une sphère chaude, dont la température est mesurée sur le levier qui la supporte, est approchée d’une surface froide à des distances nanométriques. © CETHIL (CNRS/INSA Lyon)
Image chapuis 2
Profils du spectre de champ lointain (en pointillés) d’un corps « noir », qui ne réfléchit pas et absorbe tout le rayonnement incident, et spectre en champ proche (traits pleins, pour une distance d = 1 nm) d’un tel corps. © CETHIL (CNRS/INSA Lyon)

 

Références
Temperature dependence of near-field thermal radiation above room temperature
C. Lucchesi, R. Vaillon, P.-O. Chapuis

Materials Today Physics 21, 100562 (2021)
https://doi.org/10.1016/j.mtphys.2021.100562
Article disponible sur les bases d’archives ouvertes HAL et arXiv.

 

  • 1Radiative heat transfer at the nanoscale: experimental trends and challenges, C. Lucchesi, R. Vaillon, P.-O. Chapuis., Nanoscale Horizons 6, 201-208 (2021)
  • 2Des études théoriques ont notamment été menées par une équipe de l’Institut Pprime à Poitiers et par le groupe de chercheurs de Lyon et Montpellier. Des observations expérimentales ont eu lieu récemment aux Etats-Unis à l’Université du Michigan et à l’Université de Californie à San Diego.
  • 3Thermophotovoltaïque : des cellules PV pour convertir le rayonnement thermique, P.-O. Chapuis, C. Lucchesi, R. Vaillon, Photoniques 105, 37-40 (2020) ; Near-field thermophotovoltaic conversion with high electrical power density and efficiency above 14%, C. Lucchesi, D. Cakiroglu, J.-P. Perez, T. Taliercio, E. Tournié, P.-O. Chapuis, R. Vaillon, Nano Letters 21, 4524 (2021)

Contact

Pierre-Olivier Chapuis
Chargé de recherche CNRS au Centre d'énergétique et de thermique de Lyon (CNRS/INSA Lyon)
Communication CNRS Ingénierie