La rugosité nanométrique explique le frottement macroscopique

Résultat scientifique Matériaux et structures

À partir de quelle échelle la surface d’un matériau peut-elle provoquer des frottements ? Des scientifiques du Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes et de l’université américaine Johns-Hopkins ont montré pour la première fois que de telles interactions avaient déjà lieu, en présence de molécules adsorbées en surface, aux échelles nanométriques et moléculaires, et ce avec un impact suffisant pour contrôler des frottements macroscopiques. Publiés dans la revue ACS Nano, ces travaux combinent expériences, modélisation théorique et simulations numériques.

La tribologie, la science des frottements, s’intéresse à la manière dont deux objets vont glisser ou non l’un sur l’autre. Cette question majeure ne manque pas d’applications, tant les frottements causent usure et perte d’énergie, ou servent au contraire à maintenir des structures en place. Ainsi, environ un quart de l’énergie produite dans le monde est perdue à cause des frottements et ce phénomène omniprésent se retrouve jusque dans les tremblements de terre. C’est aussi ce frottement qui peut faire gagner un dixième de seconde à un sportif sur ses adversaires, ou encore qui évite de déraper sur une plaque de verglas. Bien que perceptibles, les phénomènes à l’œuvre au contact intime des surfaces qui produisent ce glissement ne sont pour l’heure pas connus. Des chercheurs et chercheuses du Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes (LTDS, CNRS/Centrale Lyon/ENTPE) et de l’université Johns-Hopkins (Baltimore, États-Unis) ont montré pour la première fois l’existence d’un lien entre les interactions physiques de contact à l’échelle moléculaire et le frottement macroscopique en présence de molécules adsorbées en surface. Ce lien est à l’origine de l’universalité des lois de frottement.

Deux surfaces glissantes qui se touchent forment un contact macroscopique. Celui-ci est constitué d’un ensemble de jonctions micrométriques de contact, qui résultent d’une rugosité nanométrique. En pratique, les matériaux ne sont pas parfaitement propres et des couches de molécules sont naturellement présentes et adsorbées sur les surfaces. Au contact, elles s’interpénètrent tels deux tapis-brosses d’épaisseur nanométrique en vis-à-vis. Publiés dans la revue ACS Nano, ces travaux de recherche montrent que ces dynamiques locales au sein de ces jonctions gouvernent le frottement. Ces travaux montrent également que la présence des défauts géométriques de surface est nécessaire pour qu’apparaisse un pic de frottement statique, qui empêche ou freine le glissement des objets.

L’équipe a commencé par une série d’expériences avec le tribomètre Atlas du LTDS, le seul appareil du monde capable de mesurer la réponse en frottement de contacts multiaspérités avec une résolution en déplacement inférieure à 0,1 nanomètre sous des pressions de contact modérées. Les conditions y sont parfaitement contrôlées, y compris pour le dépôt des molécules adsorbées par les surfaces. Ces résultats ont fourni les bases d’un modèle théorique qui a prédit qu’il fallait prendre en compte la géométrie des surfaces aux échelles nanométriques. Cette idée a ensuite été confirmée par des simulations numériques en dynamique moléculaire conçues à l’université John-Hopkins, ce qui a permis de coupler des phénomènes issus d’échelles différentes, aussi bien spatiales que temporelles.

Structure à l’interface d’un frottement multicontact. À gauche, contact macroscopique entre deux surfaces rugueuses réalisé dans le tribomètre ATLAS, à droite, simulation de la rugosité nanométrique recouverte de molécules, également nanométriques, adsorbées. © Lucas Frérot
Structure à l’interface d’un frottement multicontact. À gauche, contact macroscopique entre deux surfaces rugueuses réalisé dans le tribomètre ATLAS, à droite, simulation de la rugosité nanométrique recouverte de molécules, également nanométriques, adsorbées.
© Lucas Frérot

Références
From Molecular to Multiasperity Contacts: How Roughness Bridges the Friction Scale Gap.
Lucas Frérot, Alexia Crespo, Jaafar A. El-Awady, Mark O. Robbins, Juliette Cayer-Barrioz, and Denis Mazuyer.
ACS Nano 2023.
https://doi.org/10.1021/acsnano.2c08435

Contact

Juliette Cayer-Barrioz
Directrice de recherche CNRS au Laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes (LTDS, CNRS/Centrale Lyon/ENTPE)
Communication CNRS Ingénierie