Le papier, un matériau modèle pour étudier la rupture des matériaux hétérogènes

Résultat scientifique

Des analyses statistiques sur le comportement d'échantillons de papier soumis à une traction mettent en évidence l'existence de différents régimes, selon que la rupture est due à la propagation d'une fissure ou résulte d'un processus plus diffus. Ces résultats pourraient permettre de mieux modéliser les risques de rupture dans les matériaux hétérogènes - bétons, roches, ou matériaux composites. Ils sont publiés par le laboratoire Sols, solides, structures, risques dans la revue International Journal of Fracture.

Comprendre et modéliser les risques de rupture des matériaux est un défi majeur en mécanique. Le béton, les composites, et certaines roches, qui contiennent de nombreuses hétérogénéités, ont un comportement dit quasi-fragile : leur rupture, sous l'action d'une contrainte, résulte d’une microfissuration progressive dans une zone d’endommagement où une fissure principale se propage dans le matériau. Or, une difficulté inhérente à l’étude de la rupture de ces matériaux réside dans leur opacité à la lumière visible, ce qui limite les observations directes du phénomène et sa compréhension. C'est pourquoi une équipe du laboratoire Sols, solides, structures, risques (3SR, CNRS/Université Grenoble Alpes) a choisi d'utiliser du papier comme modèle de matériau quasi-fragile, car sa microstructure et le développement de son endommagement peuvent être révélés aisément par transmission optique.

Des essais de traction ont été réalisés sur des échantillons de papier, afin d'enregistrer les courbes représentant l'évolution de la force exercée jusqu'à la rupture complète de l'échantillon. Globalement, cette force atteint un pic avant de diminuer. Lors de cette baisse, en raison de l’hétérogénéité du matériau, des fluctuations sont observées. Les scientifiques ont analysé leur distribution statistique en amplitude afin d’y trouver la signature des hétérogénéités. L'étude montre que pour les échantillons dont la rupture est la conséquence d’une propagation significative de fissure, les chutes de force mesurées sont statistiquement distribuées selon deux régimes distincts. Lorsque la rupture est plus diffuse (sans propagation significative de fissure), un seul régime de distribution statistique a été observé. La présence de deux régimes dans la distribution des chutes de forces, quantité facilement mesurable lors de tests mécaniques, est donc une signature statistique de la propagation de fissures.

Une précédente étude avait mis en évidence le lien entre les chutes de forces et la taille de la zone d’endommagement. Il paraît donc possible d’obtenir des informations sur la zone d’endommagement en se basant sur l’analyse statistique des chutes de forces, y compris pour des matériaux opaques dans lesquels on ne peut pas observer visuellement la propagation des fissures. L'ensemble de ces résultats pourraient donc permettre d’améliorer la modélisation des matériaux quasi-fragiles, afin de mieux anticiper les risques de rupture.

Le papier, un matériau modèle pour étudier la rupture des matériaux hétérogènes
Une fissure et sa zone d’endommagement dans une feuille de papier éclairée par transmission. 
© François Villette, 3SR

Références
Displaying quasi-brittle failure using avalanches: paper as a material model.
François Villette, Julien Baroth, Frédéric Dufour, Sabine Rolland du Roscoat.
International Journal of Fracture (novembre 2023).
https://doi.org/10.1007/s10704-023-00748-1
 

Interplay between microstructure and FPZ: experimental and numerical analysis on paper as a model material.
François Villette, Frédéric Dufour, Julien Baroth, Sabine Rolland du Roscoat & Jean-Francis Bloch.
Acta Mechanica 234:4197–4215. (2023).
https://doi.org/10.1007/s00707-023-03576-5
Article consultable sur la base d’archives ouvertes HAL

Contact

François Villette
Ex-doctorant au laboratoire Sols, solides, structures, risques (3SR, CNRS/Université Grenoble Alpes), actuellement chercheur post-doctoral au Laboratoire Georges Friedel (LGF, CNRS/Mines Saint-Etienne)
Julien Baroth
Maître de conférence au laboratoire Sols, solides, structures, risques (3SR, CNRS/Université Grenoble Alpes)
Communication CNRS Ingénierie