Les drôles de vibrations de la matière molle

Résultat scientifique Photonique

Dans des conditions très particulières, appelées cônes de Dirac, certaines ondes et particules sont conduites sans perte d’énergie à travers de la matière, principalement des structures cristallines très spécifiques. Grâce à un ruban de polymères mous imitant des tissus anatomiques, des scientifiques de l’Institut Langevin et du laboratoire PMMH ont observé les premiers cônes de Dirac dans de la matière molle, permettant un transport très efficace d’ondes élastiques. Ces travaux pourraient aider à comprendre comment les vibrations sonores sont converties en signal électrique dans l’oreille interne, avant d’être transmises au cerveau.

D’abord observés dans la structure hexagonale du graphène, les cônes de Dirac sont des configurations de la matière où les électrons sont transportés comme s’ils n’avaient pas de masse. Ils sont donc conduits sans perte d’énergie, y compris dans des matériaux qui sont à l’origine isolants. Ces spécificités provoquent depuis une quinzaine d’années un important engouement scientifique, en quête d’autres conditions dans lesquelles des cônes de Dirac peuvent se former. On en a ainsi retrouvé, en plus des électrons, dans le cas d’ondes sonores et optiques. En observant les vibrations d’un ruban en matériau mou, des chercheurs et chercheuses de l’Institut Langevin (CNRS/ESPCI Paris - PSL) et du laboratoire Physique et mécanique des milieux hétérogènes (PMMH, CNRS/Sorbonne Université/ESPCI Paris - PSL/Université de Paris) ont découvert les premiers cônes de Dirac dans de la matière molle, faisant des ondes élastiques le quatrième exemple où ils peuvent apparaître. Le ruban est inspiré de la membrane basilaire, située au niveau de la cochlée dans l’oreille interne, étudiée à l’origine pour comprendre comment elle transforme les vibrations du son en un signal électrique pour le cerveau. Ces résultats sont publiés dans la revue PNAS.

Le ruban, fabriqué à partir d’un gel de polymères de silicone, a été placé dans une expérience assez simple, où il a été suspendu et secoué. Une caméra a permis d’observer finement ses déformations, qui ont ensuite été décortiquées avec des outils physiques et mathématiques plus sophistiqués. Résultat, l’onde élastique y existe selon deux modes différents, possédant une même fréquence tandis que leur distribution dans l’espace change. Mais selon la manière dont le ruban est suspendu, ces deux états de propagation peuvent se retrouver avec une même fréquence d’excitation, ce qui provoque alors l’apparition d’un cône de Dirac. En plus de cette découverte, les scientifiques ont constaté que lorsque le ruban était secoué d’une certaine manière, les ondes élastiques ne se propageaient que dans certaines directions malgré la structure symétrique de la matière. D’autres travaux vont être menés pour étudier l’importance de ces phénomènes pour la cochlée et développer ainsi de meilleurs capteurs d’ondes élastiques.

Vue du ruban de matière molle.  © Lanoy et al.
Vue du ruban de matière molle.
© Lanoy et al.

Références

Dirac cones and chiral selection of elastic waves in a soft strip.
M. Lanoy1
, F. Lemoult, A. Eddi & C. Prada
PNAS, December 1, 2020 117 (48) 30186-30190
DOI: https://doi.org/10.1073/pnas.2010812117
Lire l’article dans les bases d’archives ouvertes arXiv et HAL.

 
  • 1Post-doctorant à l’Institut Langevin (CNRS/ESPCI Paris) au moment de la publication, aujourd’hui post-doctorant au Laboratoire de physique de l’ENS (CNRS/ENS Paris/Sorbonne Université/Université de Paris)

Contact

Maxime Lanoy
Post-doctorant, Laboratoire de physique de l’ENS (CNRS/ENS Paris/Sorbonne Université/Université de Paris)
Communication CNRS Ingénierie