L’origine de la danse des bulles en ascension dans l’eau

Résultat scientifique Mécanique des fluides

Voici plusieurs siècles que les scientifiques se demandent pourquoi certaines bulles ne remontent pas en ligne droite dans l’eau. Grâce à des modèles mathématiques, des chercheurs de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse ont montré que le phénomène était provoqué par le couplage entre les petites perturbations du mouvement de la bulle et celles de l’écoulement de l’eau dans son voisinage, qui s’amplifient mutuellement lorsque la bulle dépasse 1,85 mm de diamètre. Publiés dans la revue PNAS, ces travaux contredisent l’interprétation avancée dans une étude parue en début d’année dans le même journal.

Il suffit de se servir un verre d’eau pétillante pour constater ce paradoxe. Alors que la poussée d’Archimède devrait les faire monter en ligne droite, de nombreuses bulles prennent leur temps pour remonter, en décrivant des zigzags ou des mouvements hélicoïdaux. Cette énigme fascinait déjà Léonard de Vinci et agite encore les milieux scientifiques avec trois explications possibles : le sillage qui se forme derrière la bulle déstabiliserait sa trajectoire, la déformation de la bulle au cours de son ascension la ferait osciller et dévier, et enfin les infimes mouvements latéraux du liquide et ceux de la bulle se renforceraient l’un l’autre. Des chercheurs de l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT, CNRS/INP Toulouse/Université Toulouse III - Paul Sabatier) ont montré que, dans le cas de l’eau, cette troisième possibilité est la bonne. Ils ont également établi que le phénomène ne se produit, toujours dans l’eau, que pour des bulles de plus de 1,85 millimètre de diamètre, taille à laquelle les déformations ne jouent qu’un rôle secondaire. Mais plus le liquide est visqueux, plus les déformations prennent de l’importance.

Publiés dans la revue PNAS, ces travaux ont été réalisés à partir de modèles mathématiques successifs, permettant de tester ou d’évacuer l’influence de différents paramètres physiques et géométriques, jusqu’à parvenir à un système qui prédit précisément la taille minimale des bulles pour observer le phénomène dans des expériences de référence. Les chercheurs ont ainsi pu isoler un à un les différents mécanismes susceptibles de déstabiliser de la trajectoire des bulles. Le problème forme un système complexe mettant en jeu un objet, la bulle, qui se déplace sous l’effet de la force d’Archimède dans un fluide pourvu de viscosité, l’eau, tout en se déformant sous le contrôle de la tension superficielle qui règne à l’interface entre les deux milieux. Leurs conclusions contredisent directement celles d’une récente publication de chercheurs des universités de Séville et Bristol, basées sur une interprétation erronée de précédents travaux menés à l’IMFT. PNAS a d’ailleurs accordé aux scientifiques toulousains un droit de réponse inhabituellement long pour développer leur analyse.

Au-delà de la seule question des mouvements des bulles, les co-auteurs soulignent que leurs modèles mathématiques, combinant différents effets physiques, décrivent de manière générale la stabilité d’une interface déformable couplée au mouvement d’un fluide visqueux. Ces modèles peuvent donc être utilisés pour prédire les instabilités intervenant dans de nombreux autres systèmes physiques, comme la dispersion des graines des arbres, la croissance des grêlons dans les nuages. Ils pourraient encore servir à optimiser des dispositifs technologiques, par exemple pour l’élaboration de cristaux de silicium et d’alliages métalliques ou pour extraire l’énergie des vagues à l’aide de membranes souples.

L’origine de la danse des bulles en ascension dans l’eau
Observation de la trajectoire d’une bulle d’air en ascension dans de l’eau.
© IMFT
L’origine de la danse des bulles en ascension dans l’eau
Extrait du Manuscrit F de Léonard de Vinci où il discute de l’origine des trajectoires non rectilignes des bulles dans l’eau.
© Charles Ravaisson-Mollien

Références
When, how and why the path of an air bubble rising in pure water becomes unstable.
Paul Bonnefis, David Fabre, and Jacques Magnaudet.

PNAS, Mars 2023.
https://doi.org/10.1073/pnas.2300897120
Article disponible dans la base d’archives ouvertes HAL

Contact

Jacques Magnaudet
Directeur de recherche CNRS à l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT, CNRS/INP Toulouse/Université Toulouse III - Paul Sabatier)
Communication CNRS Ingénierie