Mesurer in situ l’adaptation de la structure du noyau induite par l’endommagement de l’ADN

Résultat scientifique Acoustique Bioingénierie

Dans le cadre d’une collaboration entre physiciens, biologistes et médecins, des chercheurs ont combiné optique et acoustique pour sonder, sans contact ni marqueurs, l’évolution de l’élasticité du milieu intranucléaire après avoir soumis des cellules ostéosarcomes à des agents physiques et chimiques endommageant leur ADN. Ces travaux, publiés dans la revue Photoacoustics, pourraient aider au développement de nouveaux traitements ou outils de diagnostiques, la structuration nucléaire jouant un rôle primordial dans l’accès au génome.

Ces dernières décennies, de nouvelles techniques d’imagerie très performantes se sont développées. Parmi elles, l’acoustique picoseconde (10-12 seconde) utilise des lasers femtosecondes1 pour étudier la propagation d’ondes acoustiques de fréquences très élevées. Des chercheurs de l’Institut de mécanique et d'ingénierie de Bordeaux (I2M, CNRS/Université de Bordeaux/Institut Polytechnique de Bordeaux/Arts Métiers Sciences et Technologies) ont adapté cette technique optique pour suivre pas à pas la propagation2 à l’intérieur du noyau cellulaire d’une onde acoustique qu’ils ont induite de façon contrôlée avec un tel laser.


En collaboration avec des collègues physiciens et biologistes du laboratoire de physique des deux infinis Bordeaux (LP2i, CNRS/Université de Bordeaux) et de médecins de l’Institut Bergonié (Centre régional de Lutte Contre le Cancer de la Nouvelle-Aquitaine /Université de Bordeaux), ils ont décidé de tester la capacité de cette technique opto-acoustique à sonder les changements du comportement mécanique du noyau, donc de sa nanostructure, induits en réponse à l’endommagement de l’ADN.


Ils ont soumis des cellules ostéosarcomes à un agent chimique3 réputé provoquer des ruptures double brins de l’ADN, ruptures qu’ils ont contrôlées par ailleurs par immuno-fluorescence. Les cellules ont été fixées pour permettre qu’un grand nombre de noyaux soient auscultés. Les mesures opto-acoustiques révèlent que la compressibilité du milieu intra-nucléaire augmente avec le temps d’exposition des cellules à l’agent endommageant l’ADN. Cette évolution est associée à la décondensation de la chromatine connue pour faciliter l’accès des protéines de signalisation et de réparation aux ruptures d’ADN. De plus une augmentation de la dissipation acoustique est mesurée. Elle peut être provoquée par une augmentation de la flexibilité des fibres de
chromatine, possiblement liée à des changements de conformation de l’ADN autour des histones, et par l’accumulation4 de protéines de réparation sur les sites d’endommagement.


Par sa capacité à sonder in situ la technique opto-acoustique offre de nouvelles possibilités d’étude de la biomécanique. Il serait par exemple intéressant de déterminer les mécanismes par lesquels les propriétés mécaniques initiales du noyau influent sur le degré d’endommagement de l’ADN induit par voie chimique car ces mécanismes pourraient intervenir dans la résistance à des thérapies géniques. De même la compréhension des mécanismes par lesquels l’endommagement induit l’ouverture de chemins pour le transfert de protéines de signalisation et de réparation pourrait permettre de contrôler l’accès au génome dans un but thérapeutique.

A gauche : des impulsions laser femtoseconde sont employées pour induire et suivre la propagation d’une onde acoustique au travers du noyau de cellules ostéosarcomes. Au centre : la mesure de la célérité acoustique permet de cartographier la rigidité du milieu nucléaire avec une résolution limitée par l’optique de focalisation. A droite : la rigidité des noyaux, révélatrice de la nano-structuration, décroit avec le temps d’exposition à un facteur chimique d’endommagement de l’ADN.
A gauche : des impulsions laser femtoseconde sont employées pour induire et suivre la propagation d’une onde acoustique au travers du noyau de cellules ostéosarcomes. Au centre : la mesure de la célérité acoustique permet de cartographier la rigidité du milieu nucléaire avec une résolution limitée par l’optique de focalisation.
A droite : la rigidité des noyaux, révélatrice de la nano-structuration, décroit avec le temps d’exposition à un facteur chimique d’endommagement de l’ADN.
© Liwang LIU

Références :


Changes in intra-nuclear mechanics in response to DNA damaging agents revealed by time-domain Brillouin micro-spectroscopy
L. Liu, M. Simon, G. Muggiolu, F. Vilotte, M. Antoine, J. Caron, G. Kantor, P. Barberet, H. Seznec, B. Audoin
Photoacoustics 27 (2022) 100385
doi.org/10.1016/j.pacs.2022.100385
Article disponible sur la base d’archives ouvertes HAL

  • 1Un laser femtoseconde est un type de laser qui produit des impulsions ultra-courtes dont la durée est de l'ordre de quelques femtosecondes à quelques centaines de femtosecondes (1 femtoseconde = 10-15 seconde). Ce type de laser est largement étudié et utilisé en recherche, dans l'industrie et dans le domaine des applications biomédicales.
  • 2Le procédé repose sur la détection, ici résolue en temps, de la diffusion Brillouin de la lumière par des phonons cohérents.
  • 3Du methyl methanesulfonate.
  • 4A l’échelle de la longueur d’onde acoustique soit quelques dizaines de nanomètres ici.

Contact

Bertrand Audoin
Professeur des universités, membre du l'Institut de mécanique et d'ingénierie de Bordeaux (I2M, CNRS/Université de Bordeaux/Institut Polytechnique de Bordeaux/Arts Métiers Sciences et Technologies)
Communication CNRS Ingénierie