Stratégie dans le cyclisme sur piste : les données au service de la performance
Une nouvelle étude menée par une équipe de recherche du Laboratoire d’hydrodynamique en partenariat avec la Fédération Française de Cyclisme vient d’être publiée dans l’International Journal of Performance Analysis in Sport. Elle permet de mieux saisir le rôle de la stratégie dans l’épreuve de la vitesse individuelle en cyclisme sur piste.
La vitesse (ou sprint) individuelle est une épreuve olympique en 2 phases : le 200 m lancé et les matchs à élimination. Le 200 m lancé correspond aux épreuves de qualifications en Formule 1 : les cyclistes sont classés suivant leur temps sur 200 m réalisés après 2 tours et demi de lancement. Les records femmes et hommes ont été battus au Jeux Olympiques de Paris avec 10.029 s (71,792 km/h) pour Lea Sophie Friedrich et 9.088 s (79,225 km/h) pour Harrie Lavreysen. Ce classement est utilisé pour établir les matchs éliminatoires en une manche pour les premiers tours et en 2 manches gagnantes à partir des quarts de finale. Lors des matchs à élimination, les deux coureurs s’affrontent sur 3 tours (750 mètres). La position de départ (devant, derrière) des coureurs est tirée au sort avant chaque match. Au cours des 115 premiers mètres, le coureur de tête doit rouler à une allure au moins égale à celle d’un arbitre marchant à ses côtés et ne pas forcer son adversaire à le dépasser. Après 115 mètres, les deux coureurs sont libres de prendre la tête ou non. Ils peuvent choisir de se rapprocher ou de s’éloigner du bas de la piste, de modifier leur allure et de surprendre leur adversaire par des accélérations soudaines. Les 250 derniers mètres se terminent généralement par un sprint final où les deux coureurs doivent rester dans leurs couloirs respectifs.
Pour déterminer les meilleures stratégies de course, des chercheuses et des chercheurs du Laboratoire d’hydrodynamique (LADHYX, CNRS/École polytechnique) ont extrait les positions des coureurs à des moments clés de la course à partir de plus de 1500 vidéos de matchs issus des championnats du monde et d’Europe, de la Coupe du monde et des Jeux olympiques entre 2018 et 2024. Ils ont ainsi pu montrer que la position de départ n’a pas d’impact significatif sur l’issue de la course mais aussi identifier des stratégies de matchs favorables pour la victoire finale. Par exemple, si un coureur est en seconde position après les 115 premiers mètres, passer en tête lors du 2ème tour conduit à la victoire dans 69% des cas.
Dans un 2ème temps, ils ont cherché à identifier les athlètes les plus talentueux en terme de stratégie. Ils ont pu montrer que les meilleurs remportent jusqu’à 90% de leurs matchs et sont capables de battre fréquemment des coureurs théoriquement plus rapides (qui ont fait un meilleur temps aux qualifications). Cela montre les qualités de certain(e)s qui arrivent à compenser un déficit de vitesse par une finesse stratégique. Pour mieux quantifier et hiérarchiser les facteurs menant à la victoire, les chercheurs ont développé un modèle d’IA entraîné sur toutes les courses depuis 2018. Cela a permis de montrer que les facteurs clés sont, par ordre d’importance décroissante : la vitesse du coureur sur 200 m lancé, la finesse stratégique du coureur et la configuration de la course. Enfin ils ont appliqué ce modèle prédictif aux épreuves des Jeux Olympiques de Paris en simulant 3000 fois la compétition à partir des quarts de finale. Il a ainsi été montré qu’après le 200 m lancé, Harrie Lavreysen possédait 75% de chance de décrocher l’or olympique. Chez les femmes le podium était plus incertain avec Lea Sophie Friedrich culminant à 37% de probabilité de victoire finale contre 31% pour Ellesse Andrews. Mais c’est cette dernière qui a remporté l’or en 2 manches sèches. Concernant les français, le modèle prédisait 10% de chance de podium pour Mathilde Gros après l’épreuve de qualifications.
Ces résultats permettent de quantifier la part de la stratégie dans l’épreuve de la vitesse individuelle ouvrant de nouvelles perspectives pour la préparation des compétitions par les entraîneurs et les athlètes.

© Patrick Pichon, FFC
Références
Routes to victory in track cycling sprint.
Jean-François Rysman, Caroline Cohen, Iris Sachet, Emmanuel Brunet, Anthony Baré, Grégory Baugé, Alexandre Prudhomme, Christophe Clanet.
International Journal of Performance Analysis in Sport, publié le 21 avril 2025.
https://doi.org/10.1080/24748668.2025.2491999