Un ''arc-en-ciel'' pour corriger les affinités électroniques des atomes

Résultat scientifique

La spectrométrie des électrons arrachés à un atome est utilisée depuis des décennies pour mesurer l'affinité électronique de cet élément. En prenant en compte un effet quantique jusqu'ici négligé, une équipe de scientifiques a demontré que les mesures basées sur l’interprétation classique des images électroniques obtenues dans ce cadre sont entachées d'une erreur systématique. Ces résultats sont publiés dans Physical Review Letters.

Lorsque des électrons sont émis dans une enceinte sous vide, l'application d'un champ électrique provoque leur déviation. Un détecteur permet d'observer et de mesurer ces déviations, dont on peut déduire l'énergie des électrons. Quand la déviation atteint un maximum ou un minimum, l'accumulation de trajectoires produit un maximum local d'intensité d'électrons, qui prend, par raison de symétrie, la forme d'un anneau sur le plan du détecteur (voir figure). Par analogie avec la formation d'un arc-en-ciel de lumière, ce phénomène est qualifié d'arc-en-ciel électronique.

Plusieurs équipes dans le monde utilisent couramment, depuis les années 1990, ces arcs-en-ciel électroniques pour mesurer l’énergie d’électrons arrachés à des atomes ou à des molécules. Ces dispositifs de spectrométrie électronique ont permis de mesurer l'affinité électronique de nombreux éléments, c'est-à-dire la quantité d'énergie dégagée lors de la réaction inverse, de capture d'un électron par un atome isolé. Un paramètre fondamental pour décrire les mécanismes d'une réaction chimique au niveau des atomes.

Ces mesures ont cependant toujours négligé le fait que, pas plus pour les électrons que pour les photons, le maximum local d'intensité qui accompagne l’arc-en-ciel n’est exactement situé à la surface de la zone où s’accumulent les trajectoires des particules, mais est légèrement décalé vers l'intérieur de leur enveloppe. Le phénomène avait été décrit dans le cas de l’arc-en-ciel optique dès 1838 par le grand opticien anglais George B. Airy, mais il n'avait jusqu'ici jamais été mis en évidence pour les arcs-en-ciel électroniques.

C'est ce qu'ont fait des chercheurs du Laboratoire de physique des plasmas (LPP, CNRS/École Polytechnique/Sorbonne Université). Le dispositif expérimental utilisé pour la mesure est celui qu’utilise depuis des années le laboratoire pour la spectroscopie d'arc-en-ciel électroniques : les électrons sont émis au croisement entre un faisceau d'ions négatifs et un faisceau laser, dans le vide et en présence d'un champ électrique uniforme. Mais, pour mettre en évidence le phénomène de décalage du maximum d'intensité par rapport à l'enveloppe des trajectoires, les chercheurs ont effectué, sur les ions négatifs d’oxygène O- et d’arsenic As-, des mesures selon trois méthodes différentes: i) l’ajustement des images électroniques par la formule rigoureuse que donne la mécanique quantique ii) la mesure classique du diamètre de l’arc d’intensité maximale lié à la production d’arcs-en-ciel électroniques iii) la mesure de l’énergie de photon à laquelle apparaît le signal de photodétachement (mesure directe du seuil) lorsqu’on fait varier la longueur d’onde du laser. La comparaison des résultats obtenus montre immédiatement que la seconde méthode, celle qui repose sur l’interprétation classique, surestime les seuils.

Ainsi, les mesures de l’affinité électronique de l’arsenic effectuée au LPP ont fait apparaître l’erreur systématique commise sur les mesures d’énergie lorsqu’on néglige le décalage du maximum d'intensité d’un arc-en-ciel électronique, par rapport à l’enveloppe des trajectoires classiques. Une surestimation possible de l'affinité électronique de l'As de 25 μeV a ainsi été observée. C’est une erreur faible, sans réelle conséquence pratique en chimie, mais qui peut avoir une incidence sur des études fondamentales de physique atomique. Ces résultats devraient, en toute rigueur, conduire à corriger une bonne partie des mesures d’énergie électronique de précision effectuées en physique atomique et moléculaire depuis le début du siècle.

Arc-en-ciel électronique obtenu expérimentalement par projection d'électrons par un champ électrique. La densité de courant la plus grande correspond au cercle extérieur le plus sombre. L’anneau intense extérieur, ici de diamètre 1,7 mm, ressemble à une zone d’accumulation de trajectoires classiques, mais son rayon reste néanmoins toujours strictement plus petit que celui de l’enveloppe imposée au mouvement par la mécanique classique. Un effet quantique systématique peut ainsi subsister dans des images apparemment classiques.
© LPP

Références
Quantum Offset of Velocity Imaging-Based Electron Spectrometry and the Electron Affinity of Arsenic.
Christophe Blondel, Cyril Drag.
Physical Review Letters, publiée le 30 janvier 2025.
https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.134.043001

Contact

Christophe Blondel
Directeur de recherche au CNRS au Laboratoire de physique des plasmas (LPP, CNRS/École Polytechnique/Sorbonne Université)
Communication CNRS Ingénierie