Une cascade bidirectionnelle d’énergie dans le vent solaire : un nouveau regard sur la turbulence spatiale
Une étude récente révèle que le vent solaire, plasma soufflé en continu par notre étoile, transfère son énergie — par effet de la turbulence — à la fois vers les grandes et les petites échelles. Un phénomène jamais mis en évidence jusqu’à présent, qui ouvre des perspectives nouvelles en physique des plasmas. Ces travaux ont été publiés dans la revue Science Advances.
Invisible à l’œil nu mais omniprésent dans le Système solaire, le vent solaire est un plasma, c’est-à-dire un gaz de particules chargées électriquement, qui s’échappe en continu de la couronne solaire, la couche la plus externe du Soleil. Ce flux ininterrompu de matière traverse l’espace interplanétaire à des vitesses supersoniques et constitue un terrain d’observation privilégié pour les chercheurs en physique des plasmas et en turbulence. Car, sans viscosité et caractérisé par des instabilités, le vent solaire se comporte comme une immense soufflerie naturelle, parcouru par différents types d’ondes et marqué par des fluctuations turbulentes.
Dans une étude publiée dans Science Advances, Raffaele Marino (LMFA, CNRS/École Centrale de Lyon/INSA Lyon/Université Claude Bernard) et Jin-Han Xie (Université de Pékin) révèlent pour la première fois une propriété inédite du vent solaire : la présence d’une cascade turbulente bidirectionnelle d’énergie. Autrement dit, l’énergie injectée par le Soleil dans le vent solaire se propage simultanément vers les petites échelles (comme on l’observe fréquemment dans la turbulence classique) et vers les grandes échelles, un comportement jusqu’alors jamais confirmé dans un plasma naturel.
Cette découverte remet en question les modèles traditionnels de la turbulence dans un espace physique en trois dimensions, où l’on considère généralement que l’énergie se dissipe progressivement à travers un transfert vers les petites échelles. Ici, les chercheurs mettent en évidence – statistiquement – un partage équilibré de l’énergie entre petites et grandes échelles, une "équipartition" inédite qui souligne la richesse de la dynamique des plasmas astrophysiques.
Le vent solaire, mesuré par des sondes spatiales comme Ulysses, dont les données ont été utilisées dans cette étude, et Solar Orbiter (deux missions de l’Agence Spatiale Européenne, ESA, avec la participation de la NASA), se révèle ainsi comme un laboratoire naturel unique pour explorer la physique des plasmas dans des régimes inaccessibles aux expériences en laboratoire. L’étude identifie également les sources de cette énergie turbulente : les boucles coronales, gigantesques arches de plasma s’élevant à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres au-dessus de la surface solaire. Ce sont elles qui injectent principalement l’énergie initiale dans le vent solaire, amorçant la cascade bidirectionnelle observée.
Mais les implications vont au-delà de la seule dynamique du vent solaire. En montrant que l’énergie peut être transférée vers les grandes échelles dans des plasmas spatiaux, les auteurs proposent un mécanisme possible par lequel la turbulence pourrait ralentir l’effondrement gravitationnel des nuages interstellaires, condition nécessaire à la naissance des étoiles telle qu’elle s’est produite dans des milliards de galaxies. Une piste prometteuse pour améliorer les modèles astrophysiques de formation stellaire.
Au-delà de la recherche fondamentale, comprendre la turbulence du vent solaire est crucial pour améliorer la compréhension de la météo spatiale, et donc pour l’avenir des technologies de communication, de surveillance environnementale, ou encore pour le développement de la fusion contrôlée en laboratoire. En l’absence de confinement magnétique, développant sa dynamique sur une immense gamme d’échelles, le vent solaire offre une fenêtre exceptionnelle sur le comportement des plasmas turbulents dans un environnement naturel unique.
© Raffaele Marino
Références
Flux equipartition in astrophysical plasma turbulence.
Raffaele Marino and Jin-Han Xie.
Science Advances, publié le 2 juillet 2025.
https://doi.org/10.1126/sciadv.adv8988