Une nouvelle technique pour cartographier les contraintes de cisaillement dans des écoulements biologiques

Résultat scientifique

L’étude des forces en jeu dans les écoulements biologiques reste difficile. Elles jouent pourtant un rôle majeur dans de nombreux processus physiologiques, comme l’écoulement sanguin ou l’épuration mucociliaire dans les voies respiratoires.  Des chercheurs et chercheuses viennent de développer une méthode originale qui permet de cartographier les contraintes de cisaillement c’est-à-dire l’application tangentielle de deux forces opposées, dans des systèmes microfluidiques. Publiés dans la revue ACS Nano, ces travaux pourraient permettre d’améliorer notre connaissance de la cicatrisation et d’aider au diagnostic de pathologies.

Le cisaillement, c’est-à-dire l’application tangentielle de deux forces opposées, joue un rôle majeur dans de nombreux processus physiologiques impliquant des fluides biologiques, comme l’écoulement sanguin ou l’épuration mucociliaire dans les voies respiratoires. Malgré son importance, il n’existe aucune méthode pour accéder directement à la carte des contraintes de cisaillement dans un écoulement biologique. L’une des techniques les plus populaires, la vélocimétrie de particules, permet de déterminer le cisaillement comme une dérivée du profil de vitesse, mais cette approche se heurte à des problèmes de faible résolution et d’incertitude. En outre, l’évaluation de la contrainte de cisaillement dans les fluides biologiques est rendue ardue en raison de leur comportement souvent non newtonien. Des chercheurs et chercheuses du Laboratoire de physique de la matière condensée (LPMC, CNRS/École polytechnique), de l’Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB, Inserm/Université Paris-Est Créteil) et du Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX, CNRS/École polytechnique) ont proposé une nouvelle technique de mesure du cisaillement spécialement conçue pour les environnements physiologiques. Leur approche offre des relevés extrêmement fins, de l’ordre du micron cube et du dixième de seconde.

Les scientifiques ont pour cela utilisé un fluide biomimétique contenant des nanobâtonnets luminescents dopés aux terres rares, qui remplissent une double fonction. Tout d’abord, ces nanobâtonnets imitent les biofluides réels en agissant comme des additifs colloïdaux. Deuxièmement, leur luminescence polarisée permet de quantifier la contrainte de cisaillement. Sous l’effet de celle-ci, les bâtonnets s’alignent dans le sens du courant tout en étant désorganisés par la diffusion thermique. Comme l’effet de l’entropie orientationnelle est constant, il est possible de mesurer le cisaillement en regardant à quel point les bâtonnets luminescents sont bien alignés ou non dans le sens de l’écoulement: on parle de paramètre d’ordre orientationnel. Les scientifiques ont ainsi pu présenter des cartographies de la distribution de la contrainte de cisaillement dans des systèmes microfluidiques, montrant que le cisaillement est fort à proximité d’étranglements et au voisinage des cellules, des zones où les effets visco-élastiques sont importants. Cette technique novatrice de mesure du cisaillement se distingue par une résolution spatio-temporelle élevée et la capacité d’effectuer des observations en temps réel. Elle permet également une visualisation tridimensionnelle de la distribution de cisaillement dans des géométries microfluidiques, faisant de cette approche un outil prometteur d’investigation pour divers processus mécanobiologiques impliquant des biofluides. Dans le cadre d’une collaboration avec l’équipe d’Abdul Barakat, directeur de recherche CNRS et professeur à l’École polytechnique, l’équipe compte à présent appliquer cette méthode non plus au voisinage de cellules isolées, mais de tout un tapis de cellules épithéliales. Cela pourrait permettre d’étudier la cicatrisation et d’aider au diagnostic de pathologies telles que la dyskinésie ciliaire.

(a) Illustration schématique d’un canal présentant une constriction artificielle semi-circulaire. (b) Cartographie du cisaillement dans le plan horizontal médian calculée pour un fluide non newtonien. (c) Spectres d’émission polarisée obtenus dans les régions indiquées, montrant un fort cisaillement près de la constriction et un faible cisaillement plus loin.
© Wang et al.

Références
Shearmetry of Fluids with Tunable Rheology by Polarized Luminescence of Rare Earth-Doped Nanorods.
Zijun Wang, Qilin Zou, Lilian Magermans, Gabriel Amselem, Claire A. Dessalles, Bruno Louis, Marcel Filoche, Thierry Gacoin, and Jongwook Kim.
ACS Nano 2024 18 (44), 30650-30657.
https://doi.org/10.1021/acsnano.4c09493

Contact

Jongwook Kim
Enseignant-chercheur à l’École polytechnique, Laboratoire de physique de la matière condensée (LPMC, CNRS/École polytechnique)
Thierry Gacoin
Directeur de recherche CNRS au Laboratoire de physique de la matière condensée (LPMC, CNRS/École polytechnique)
Communication CNRS Ingénierie